Le 15 décembre, un sondage fait la une du New York Times: il analyse le coût humain du chômage. 26% des personnes sans emploi ont perdu leur logement, ou sont menacées d'éviction; 60% ont dû puiser dans l'épargne de leur retraite; 47% sont privées d'assurance maladie. Aux États-Unis, on discute d'ailleurs beaucoup de la réforme de la couverture santé : l'avenir du grand projet de Barack Obama est incertain. Cela n'empêche pas un débat national sur l'Afghanistan, assumé par le président. Bref, de nombreux problèmes...
En France, rien de tel. Le gouvernement choisit d'organiser un « grand débat » sur l'identité nationale. Est-ce à dire que notre pays ne connaît pas ces autres problèmes, ou qu'il s'agit là du seul vrai problème ? Faire de la politique, c'est proposer des grilles de lecture du monde, autrement dit, poser des problèmes. Non pas les refléter, mais les construire. Nicolas Sarkozy a donc fait un choix politique : constituer l'identité nationale en problème.
Bien sûr, prenant le relais du Front national, il avait déjà fait de même avec l'immigration tout au long des années 2000. Cependant, la nouveauté, depuis la campagne présidentielle de 2007, c'est d'articuler les deux dans un cadre institutionnel : un ministère. Le ministre est donc là pour faire exister le problème qui le fait exister. Brice Hortefeux hier, Éric Besson aujourd'hui : l'occupant de ce poste est depuis lors le plus visible du gouvernement - bien plus que les ministres de l'économie, de l'éducation, de la justice ou de l'environnement. Ce qui était vrai au moment des élections européennes ne l'est pas moins à la veille des régionales. C'est donc un choix d'affichage : organiser le débat public autour de l'identité nationale, c'est ne pas l'organiser sur d'autres sujets.
Reste qu'il ne suffit pas de poser un problème pour parvenir à l'imposer. Or, plus encore que la levée de boucliers dans l'opposition, l'inquiétude des sarkozystes et la jubilation des villepinistes augurent mal du succès de cette nouvelle campagne : dans les préfectures, elle ne fait pas recette. Ce même 15 décembre, Le Nouvel Observateur publie en effet un sondage qui montre la désaffection de l'opinion pour ce débat. Malgré le soutien des personnes âgées, non seulement 55% des personnes interrogées ne le trouvent « plutôt pas ou pas du tout nécessaire », mais surtout, 9% seulement jugent qu'il prend actuellement une tournure positive ; même les sympathisants de droite ne sont que 15% à le penser. Bref, une hirondelle comme Nadine Morano ne fait pas le printemps de l'identité nationale.
Quel est le problème ? Autrement dit, quel problème rencontre le « problème de l'identité nationale » ? C'est que Nicolas Sarkozy a fait du volontarisme sa marque de fabrique politique. Non pas tant la volonté laborieuse que l'affichage de la volonté triomphante : quand on veut, on peut. Ainsi en matière d'immigration : fixer des quotas de reconduites à la frontière, c'est se donner des objectifs qu'on est en mesure d'atteindre - quitte à expulser à grands frais des étrangers de passage, qui avaient déjà leur billet de retour... En revanche, qu'en est-il pour l'identité nationale ? En 2007, le candidat avait certes posé le problème ; mais c'est qu'il avait une solution : la création du ministère de l'immigration et de l'identité nationale. L'objectif était donc atteint dès le lendemain de l'élection.
Le problème, c'est qu'Éric Besson a cru bon de relancer le problème en 2009. Il est vrai que l'intitulé de sa charge l'y incitait - après tout, la création d'un ministère du chômage n'aurait-elle pas condamné son ministre à traiter le chômage comme un problème ? Il faut bien reconnaître la lucidité de Nicolas Sarkozy, qui n'a pas envisagé une telle innovation : dans la « culture du résultat » qui lui est chère, il importe en effet de se fixer seulement des objectifs qu'on peut facilement atteindre. Autrement dit, c'est seulement quand on peut qu'on veut. Mais que pouvait-on en attendre de bon, en termes de chiffres ? Quel pourrait être l'équivalent des quotas d'expulsions en matière d'identité nationale ? Les médailles d'intégration et les labels de la diversité paraissent bien symboliques, au regard de l'efficacité avérée de charters d'Afghans...
Faute de pouvoir offrir des résultats tangibles, le problème de l'identité nationale était donc voué à l'échec. La circulaire distribuée aux préfectures pour organiser le débat appelait à se demander : « pourquoi la question de l'identité nationale génère-t-elle un malaise chez certains intellectuels, sociologues ou historiens ? » Or, à rebours de ce populisme, on s'aperçoit aujourd'hui que le malaise est répandu dans le « peuple », y compris à droite. C'est bien pourquoi les instigateurs du débat s'y dérobent désormais : Nicolas Sarkozy a renoncé à clore le colloque de l'Institut Montaigne, le 4 décembre. Même Éric Besson décline aujourd'hui les invitations.
Paradoxalement, les gouvernants faisant défaut, ce sont donc aujourd'hui ces mêmes « intellectuels » qui, par leur refus de débattre, alimentent le débat - non pas sur l'identité nationale (qui sollicite encore Max Gallo ?), mais sur la politique d'identité nationale. C'est, tout simplement, renverser le problème. Ce paradoxe n'est pas une contradiction. Aujourd'hui, ce sont les critiques qui peuvent légitimement se réclamer de la culture du résultat. Sans doute Nicolas Sarkozy était-il parvenu à ses fins en 2007. Toutefois, l'appel pour la suppression du ministère de l'identité nationale, publié le 4 décembre, fixe un objectif qui peut tout aussi aisément être atteint. Les partis n'ont qu'à s'y engager, et les associations et les syndicats, autant que les citoyens, peuvent rejoindre cette initiative. En finir avec ce ministère, et avec sa politique de l'identité nationale ? Si on le veut, on le peut. Ce n'est pas un problème. Retrouver cet article sur MEDIAPART
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